- Chroniques sur divers sujets
ARCHITECTURE… URBANISME…
“Être architecte”

“Je suis architecte.Tout le reste est important, mais l’architecte l’est plus que tout et même architecte englobe tout ce qui ne semble pas relever directement de l’architecture” in “Paul Chemetov être architecte” éditeur Arléa.
Paul Chemetov et Frédéric Lenne présenteront “Être architecte” et débattrons de ce thème :
- le samedi 11 mai 2019 à 15h à Archipel, 21 place de Terreaux à Lyon 1er
Page “Architecture… Urbanisme” : Jacques Rey
assisté de Marie Noëlle Gillet
Dans cet ouvrage Frédéric Lenne, directeur de la revue AMC (Architecture Mouvement Continuité) rapporte sept conversations qu’il a eues avec Paul Chemetov. Il interroge cette éminente personnalité sur sa conception de l’architecture et sur ce qu’il entend par “être architecte”.
Bien qu’il ait construit dans la France métropolitaine et outremer, en Tunisie, au Japon, en Inde où il conçoit l’ambassade de France, Chemetov n’a pas bénéficié d’une reconnaissance internationale comparable à celle de Jean Nouvel ou de Christian de Portzamparc.
“S’il manque une part de célébrité de son vivant - ce qu’il exprime avec lucidité - quel sort sera le sien dans le futur sous le regard de l’historiographie de l’Architecture ? Il fait partie d’une génération qui jouait collectif. Aux débuts de son exercice professionnel, de façon à échapper à l’emprise de l’Ecole des Beaux-Arts, et par réaction à l’architecture du chemin de grue, après la période de la Reconstruction, s’étaient formés quelques ateliers pluridisciplinaires où chacun disparaissait quelque peu au profit du groupe. L’AUA (Atelier d’Urbanisme et d’Architecture), dont Chem fut l’un des piliers, était un creuset de fortes personnalités, “un rassemblement de gens intelligents” ainsi que l’a défini l’architecte Roland Simounet, dont l’aura et la notoriété acquises durant un quart de siècle (1960-1985) perdurent, l’inscrivant solidement dans l’histoire de l’Architecture”. Fréderic Lenne
Ce grand professionnel s’illustre par une éthique et une esthétique qui se traduisent dans ses écrits, dans ses œuvres et dans ses modes d’exercice. Il a participé de manière déterminante, par son prosélytisme et son ouverture d’esprit, à la promotion d’un nouveau type de rapport entre les architectes et la société.
Alors que l’anti-intellectualisme faisait florès dans la profession particulièrement dans la section architecture de l’école Beaux-Arts à Paris et dans ses annexes provinciales, cet architecte se revendiquant intellectuel bouscule les valeurs réactionnaires et modernistes du corporatisme régnant.
Formé à l’art et à la philosophie, il invente et expérimente au cours de sa foisonnante carrière “l’architecte des temps nouveaux”. Celui-ci, privé des certitudes de la ville radieuse et plongé dans les incertitudes de la ville en souffrance, hérite d’une modernité inachevée dont l’optimisme l’avait en sa jeunesse motivé.
Tuant un père vénéré : Le Corbusier, l’architecte des temps nouveaux doit panser les blessures urbaines imputables à l’acculturation des acteurs décisifs de l’urbanisation des trente glorieuses mais aussi aux théories simplificatrices de la Charte d’Athènes.
Cette “nouvelle vague architecturale” ne s’intéresse plus à la recherche d’un bonheur idéal techniquement réalisable, mais à la pratique humaine et à l’intelligence de cette pratique. Elle constate que l’être humain vit en société, qu’il vit de plus en plus dans la “polis”, que l’architecture urbaine concerne la vie en société, que toute vie en société implique de la politique, que ce qui fait l’essence de l’action politique ou architecturale c’est le projet.
Ne se contentant pas de théoriser, Paul Chemetov adopte une pratique opérationnelle s’apparentant à un pragmatisme savant sans doute inspiré par la célèbre phrase de Karl Marx : “les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer”. À l’encontre du formalisme académique et de l’idéalisme corbuséen, ce subtil dialecticien met en œuvre une “praxis” de la ville et de l’architecture.
Paraphrasant Gropius dans Apollon dans la démocratie Chemetov avance que “l’architecte dans sa tradition construisait des églises, des palais, des forteresse… mais la question que pose la démocratie, c’est loger, soigner, enseigner, faire travailler. Pour l’architecture, le projet illimité de s’occuper de tout change sa nature et rend plus difficile l’exercice de l’architecte”.
Réfutant les princes, la société démocratique dévolue aux architectes la mission d’imaginer des projets publics ne pouvant être conçus et réalisés qu’avec la volonté politique de les faire exister.
Paul Chemetov a été l’un des premiers à explorer ces conditions nouvelles de la création en récusant une dérive clientéliste pratiqué par nombre de politiques et, en toute bonne conscience, par des architectes de tous bords.
Il observe que cet exercice dialectique conjuguant créativité personnelle et enjeu social pose en démocratie la question de l’autre :
“L’architecte s’occupe de lui ou il s’occupe de l’Autre. L’ennui est qu’on lui demande de s’occuper de lui pour parler de l’Autre. La difficulté est donc celle-ci : comment être égotiste en s’adressant et en pensant aux autres ? Tout architecte a un sentiment de puissance. Faire un trait et voir qu’il devient un mur confère un sentiment de puissance quasi-divine”.
Comme étudiant engagé politiquement puis comme professionnel, Chem, ainsi que le nomment ses amis, s’intéresse à ces banlieues parsemées, au gré des stratégies politiciennes, économiques et foncières, d’ensembles construits grands ou petits ignorant la culture, l’histoire et le génie des lieux. Avec l’atelier de Montrouge puis avec l’AUA en s’ouvrant sur le monde extérieur, il imagine : “De nouveaux types de rapport entre les hommes, de nouvelles rencontres entre les disciplines, de nouvelles conceptions de l’enseignement de l’architecture, tout était fait pour bousculer l’ordre établi et pour créer les conditions de l’innovation”.
En 1986 après la dissolution de l’AUA Paul Chemetov poursuit sa carrière sous son propre nom, associé à l’architecte Chilien : Borja Huidobro. Leur audience est telle qu’ils gagnent des concours nationaux et internationaux et interviennent jusqu’au au cœur de Paris. Ils sont les auteurs de deux des Grands Travaux de François Mitterrand : le Ministère de l’économie et finances à Bercy et la rénovation du Museum national d’Histoire naturelle.
Le maire de Paris Jacques Chirac leur confie la réalisation des équipements publics installés dans le Forum des Halles.
En Région Rhône-Alpes le maire de Grenoble Hubert Dubedout, issu des GAM (Groupes d’actions municipaux), fait appel à Paul Chemetov et à l’AUA pour projeter la Ville neuve de Grenoble-Echirolles. L’enjeu est de taille. Il s’agit de rompre radicalement avec le mode d’urbanisation productiviste fait de barres et de tours et de mettre en œuvre un projet urbain organique structurant les rapports sociaux. Dans le même temps l’urbaniste de l’AUA Michel Steinebach initie l’agence d’urbanisme de la région grenobloise. Grace à cette dynamique Grenoble devient, dans les annexées 70, un haut lieu de la pensée urbaine. Le premier Institut d’urbanisme en France hors Paris y est fondé.
En 1977 le nouveau maire de Saint-Étienne, Joseph Sanguedolce, sollicite Paul Chemetov et l’AUA pour imaginer et réaliser un Projet Urbain alternatif dans un secteur en crise : le quartier Saint-Saëns dans la ZUP de Montreynaud.
À la même époque, Louis Mermaz, maire de Vienne, confie à la même équipe la restructuration des rives industrielles et populaires de la Gère. Pour garder la mémoire de ce quartier, Chemetov réhabilite l’ancienne usine textile Teytu pour y accueillir des logements. Il intègre dans le tissu historique du cœur de la cité le tribunal et construit sur les plateaux dominant la ville le nouveau quartier de Malissol.
Paul Chemetov et Borja Huidobro s’illustrent par les Hauts du lac dans le quartier des moines de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau. Cet immeuble de logement installé “in situ” au sommet d’une colline fabrique un paysage et constitue, tel un château fort, l’identité du lieu.
Ainsi en France comme dans la région Rhône -Alpes, Paul Chemetov est une référence, un modèle pour toute une génération d’architectes.Aguerris dès leurs études au combat contre l’académisme et l’enseignement Beaux-Arts, ils refusaient la taylorisation des agences d’architecture concevant les grands ensembles, et revendiquaient l’architecture comme un fait de civilisation, comme un acte culturel consubstantiellement lié au politique.
C’est pourquoi arrivant dans la vie professionnelle dans les années 70, ces jeunes architectes seront des intellectuels à la foi théoriciens et praticiens, mettant en œuvre concrètement dans leurs projets les idées qu’ils avançaient pour le devenir de la cité.
Il y a cent ans Walter Gropius fondait le Bauhaus avec de géniaux marginaux. Chassés par les nazis la plupart deviendront des célébrités notamment aux États-Unis où ils s’illustreront par des gratte-ciel de verre et de métal.
L’écrivain polémiste américain Tom Wolf leur reprochera d’avoir meublé les banquiers américains avec les meubles du prolétariat allemand.
Avec la mondialisation cette évolution paradoxale touche de nouveau les avant-gardes architecturales. Comme dans le cinéma il a des architectures d’auteur,allant de la villa individuelle aux musée commandés par des princes orientaux, des architectures obéissant aux injonctions du marketing aussi bien la villa clé en main que les tours de bureaux dont l’objet n’est plus l’architecture mais la conquêtes du ciel.
“Tant que je me nourris d’être architecte, ce qui m’est consubstantiel, j’ai une certaine raison de vivre”.
Paul Chemetov pense qu’être architecte comme être artiste c’est plus qu’un titre, plus qu’un métier, c’est une manière d’être, une éthique et une esthétique, une sensibilité permanente aux formes que les sociétés humaines donnent aux espaces de vie et à la nature.
Alors que le marketing urbain pousse au formalisme et à la starisation et qu’apparaissent de nouveaux princes publics et privés, émerge d’une société en mutation rapide une génération d’architectes célèbres ou modestes mettant leur intelligence et leur créativité au service du devenir de la planète.
Être architecte c’est encore aujourd’hui une façon de voir et d’interpréter le monde.