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ARCHITECTURE… URBANISME…
Alain Charre ou le voyage en Architecture

La disparition en mars 2018 d’Alain Charre historien de l’Art et des cultures archi- tecturales n’a fait l’objet que d’une discrète annonce dans le Monde. Professeur à l’Université Lyon II, à l’école des Beaux-Arts de Lyon puis à l’école d’Architecture de Clermont-Ferrand, fut l’un des penseurs marquant de l’histoire et des théories de la modernité artistique, architecturale et urbanistique dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Un an après son décès, l’Université Lyon II lui a consacré une journée d’étude le 5 avril 2019.
Page “Architecture… Urbanisme” : Jacques Rey
Assisté de Marie Noëlle Gillet
“Quelle que soit l’origine historique qu’on lui attribue, la modernité résulte toujours d’une résistance des forces vives aux conventions productrices d’immobilisme, et d’un combat vigoureux contre les arguments passéistes pour une affirmation d’une identité nouvelle fondée sur les facteurs déterminants du présent. À la répétition, le moderne oppose l’innovation. Son choix, autant éthique qu’esthétique, s’inscrit dans une perspective historique qui réfute la tradition dominante et articule un langage nouveau adapté aux nouvelles conditions culturelles”. Ce texte d’Alain Charre extrait du catalogue de l’exposition “Lyon Europe 100 ans d’architecture moderne” caractérise la manière dont il abordait les problématiques de la modernité dans les arts, dans l’architecture des édifices, des villes et des territoires.
Réfutant tout enfermement corporatif, disciplinaire, scolaire ou universitaire, Alain Charre est allé à la rencontre dans la région Rhône Alpes des acteurs les plus représentatifs du Mouvement Moderne international et de ceux qui leur ayant succédés, se sont illustrés par une approche critique de ce type de modernité et de ses dérives productivistes.
À la fin des années 60, un mouvement d’étudiants et d’architectes indisciplinés rejette l’enseignement académique, revendique l’architecture et l’urbanisme comme création et culture. ll réfute aussi bien la modélisation scientiste prônée par la technocratie que l’interprétation mécaniste du marxisme qui se rejoignent dans la culture du bulldozer et du chemin de grue.
Professant l’in-discipline comme méthode, Alain Charre s’est naturellement trouvé en osmose avec cette tendance architecturale novatrice devenue, après mai 68, opérationnelle en France et dans la région lyonnaise.
Rejetant les théories globalisantes privées de lieu (u-topos), cette nouvelle génération de concepteurs projette des architectures et des urbanités contextuelles qui s’offraient, cas par cas en alternative aux crises urbaines éclatant alors aussi bien dans les banlieues que dans les quartiers historiques.
Alain Charre, historien de la modernité, a eu conscience de l’apport innovant de cette tendance architecturale qui mettait en cause les fondements théoriques du mouvement moderne tout en réfutant le passéisme.
Il s’aperçu qu’il fallait échapper à une conception de l’architecture qui se contentait d’esthétiser des constructions et aux recherches universitaires qui réduisait le projet architectural et urbain à un exercice formel : il ne saurait y avoir de projet sans théorie, ni de théorie sans projet. La recherche devrait inspirer l’imaginaire, essence de tout projet, mais en aucun cas ne saurait le remplacer.
“Je ne cherche pas je trouve” c’est par cette citation de Pablo Picasso, que l’architecte Oriol Bohigas répondait à la question de savoir si son projet du quartier Olympique de Barcelone découlait des recherches scientifiques sur la formation des villes.
Pour cette nouvelle génération de créateurs, plus qu’un simple esthète, l’architecte devait transcender, grâce à la poésie, les logiques internes des matériaux abstraits et concrets avec lesquels il travaillait. La définition du poète que donnait Saint-John Perse dans son discours prononcé lors de la remise de son Prix Nobel devenait leur devise : “L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation”.
La rigueur de la pensée et les fulgurances poétiques d’Alain Charre rejoignaient de la même façon les territoires et leurs architectures.
L’architecte René Gagès initie en 1988 l’exposition “Lyon-Europe, 100 ans d’architecture moderne”.
Il installe cette exposition dans l’Espace Lyonnais d’Art Contemporain situé au cœur du centre d’échange de Perrache, œuvre qu’il avait conçue avec deux de ses élèves Guy Vanderaa et Jacques Rey.
Le lieu de l’Espace Lyonnais d’Art contemporain résultait lui-même d’une nouvelle conception de la modernité architecturale, proche de celle du Groupe Anglais “Archigram” et des propositions de l’architecte japonais Kenzo Tange pour la reconstruction de Skopje capitale de la Macédoine.
La plateforme qui avait reçu l’ELAC en 1976 était suspendue à une structure métallique et close de façades en verre conçues par l’ingénieur Jean Prouvé. Cet ami de Le Corbusier était une figure du Mouvement Moderne International.
Il avait présidé le jury qui choisit le projet de Renzo Piano et Richard Rogers pour le Centre Pompidou au grand dam de “l’Establishment” architectural aussi bien académiste que moderniste.
C’est pourquoi dans l’imaginaire lyonnais, par son architecture, l’ELAC s’apparentait dans le fond et dans la forme à ce centre culturel emblématique inauguré en 1977.
Commissaire de l’exposition, René Gagès fait appel à trois de ses anciens élèves : Michel Roz architecte sociologue cofondateur du GERAU pour en diriger le catalogue, aux architectes Jean-Claude Faure et Guy Marcon pour la scénographie. Il les associe à Alain Charre historien de la culture architecturale et urbaine chargé de positionner cette exposition dans l’histoire de la modernité architecturale du XXe siècle.
Depuis “Lyon Europe 100 ans d’Architecture Moderne”, des rapports permanents se sont instaurés entre Alain Charre et la Tendance architecturale à laquelle appartenait Michel Roz et Jacques Rey.
In-discipliné, pratiquant volontiers la provocation poétique, ces deux architectes se définissaient alors comme proches du cinéma de la nouvelle vague et paraphrasant Jean-Luc Godard se considéraient comme les enfants de Marx, de Tony Garnier et du Coca Cola.
Alain Charre croise avec eux un univers culturel et une pensée théorique issus pour l’essentiel de combats anti académiques des années 60. Il en est sorti deux concepts opératoires novateurs : l’architecture urbaine et le projet urbain.
Dans son ouvrage “Les nouvelles conditions du projet urbain” cet historien analyse le caractère profondément pertinent de cette nouvelle pratique dans laquelle les concepteurs du projet se situent en amont de la décision politique comme conseils et non plus comme exécutants.
Pour Alain Charre et ses amis architectes, désormais investis dans l’Association Rhône-Alpes de la Société Française des Urbanistes et dans le mouvement “Banlieue 89”, l’architecte n’est plus un simple arrangeur de forme, mais devient un metteur en ville qui, tel un cinéaste invente des scénarios et les met en œuvre, assumant pleinement son rôle d’intellectuel au sein de la production urbaine.
Brisant l’enfermement corporatif, l’architecte doit alors se mêler à des intellectuels d’autres disciplines, en particulier des universitaires notamment des historiens non pas uniquement de l’urbanisation mais des formes urbaines et architecturales. L’histoire doit devenir pour lui un des facteurs de la modernité.
Alain Charre a saisi la proximité de ces architectes “intellectuels” avec Charles Moore architecte des contestataires californiens et surtout avec la Tendezza italienne, particulièrement avec Vittorio Gregotti et Aldo Rosi. L’influence de ce dernier est sensible dans l’immeuble le Gambetta construit en 1988 dans le centre historique de Vénissieux par Jacques Rey qui fait intervenir dès sa conception l’artiste Franco-israélienne Martine Neddam.
La Tendenza avait dénoncé la perte de sens des espaces urbains détruits ou construits par le fonctionnalisme, le productivisme et le zonage ségrégatif se revendiquant de la Charte d’Athènes. Elle considérait la ville comme une architecture. Ce mouvement s’inscrivait dans le contexte des luttes urbaines s’opposant à l’urbanisme productiviste et à la démolition programmée des quartiers historiques et populaires.
La ville de Givors fut l’une des premières municipalités à rompre avec ce type de pratique pour rénover son centre historique. Son maire Camille Vallin imposa politiquement et mit en œuvre le projet urbain de Jean Renaudie. La Cité des Étoiles embrassant la géographie du lieu modifia profondément l’identité de la ville, impulsant le renouveau de son activité culturelle. Hier lointaine banlieue ignorée de la ville centre, Givors devient un lieu d’expérimentation artistique et urbaine.
En 1989 Jacky Vieux est nommé directeur de la Maison du Rhône installée dans une ancienne chapellerie acquise par la municipalité.
C’est en ce lieu symbole d’un territoire qu’avec Alain Charre il fonde en 1990 l’Institut pour l’Art et la Ville. Se joignant à eux Jacques Rey retrouve Alain Charre. Ce sera pour eux l’occasion de poursuivre la réflexion transdisciplinaire amorcée en 1988 à L’ELAC.
Il résultera de cette nouvelle rencontre de nombreuses initiatives, d’incroyables propositions comme le projet de Land-Art mettant en lumière le contournement est de Lyon qui cheminait dans la plaine dauphinoise au travers d’un cardo-decumanus symbolique de l’histoire lyonnaise.
Jean-Jacques Gleizal rencontré à l’Institut de l’Art et de la Ville sera conseil de Jacques Rey pour le concours international de restructuration du campus de Grenoble à Saint-Martin d’Hères, et en 1995 président du tribunal du “Procès Post-Mortem des Tours de Démocratie” organisé par la Maison de l’Architecture Rhône-Alpes.
Dès les années 50 dans un champ culturel lyonnais fermé et provincial des étudiants architectes partisans du mouvement moderne créent l’atelier d’école Gagès-Cottin, Bernard Chardère crée la revue de cinéma “Positif” et Roger Planchon le théâtre des Marronniers, ancêtre du TNP de Villeurbanne.
Emergeant au sein de la seconde agglomération française, ces initiatives furent à l’origine d’un terreau culturel, existant non sans difficultés, mais toujours fertile en idées et en créations.
Ce mouvement porteur de modernité a regroupé, hors des institutions, des personnalités atypiques ayant su voyager hors des enfermements régionalistes et disciplinaires pour bouleverser leurs propres pratiques. Alain Charre fut de ceux-là.
La journée d’étude sur son œuvre et son apport aura lieu le 5 avril à la Maison Internationale des Langues et des Cultures, 35 rue Raulin 69007 Lyon.
Une diversité de personnalités ayant croisé son chemin Interviendront. Des propositions et recherches actuelles en écho avec les formes et questionnements qui marquèrent son parcours seront présentées.