- Chroniques sur divers sujets
ARCHITECTURE… URBANISME…
MÉMOIRES CROISÉES

En cette fin d’année Archipel “Centre de Culture Urbaine” a présenté deux livres écrits l’un par un maquettiste d’architecture et d’urbanisme, l’autre par un architecte urbaniste. Dans leurs ouvrages respectifs ils jettent un regard sur leurs parcours professionnels : Dominique Fau dans “Trente ans de maquettes” et Bernard Paris dans “Créer, c’est se souvenir - Parcours et engagements d’un architecte-urbaniste”.
L’un et l’autre se sont illustrés dans des disciplines différentes mais consubstantiellement liées à la ville et à l’architecture. Tous deux sont entrés dans la vie professionnelle alors que se renouvelaient dans les années 70 les théories et les pratiques urbanistiques et architecturales.
Page “Architecture… Urbanisme” : Jacques Rey
Assisté de Marie-Noëlle Gillet
L’un et l’autre se sont illustrés dans des disciplines différentes mais consubstantiellement liées à la ville et à l’architecture. Tous deux sont entrés dans la vie professionnelle alors que se renouvelaient dans les années 70 les théories et les pratiques urbanistiques et architecturales.
En 1964 Dominique Fau rejoint l’agence de François-Régis Cottin, un des pères d’une nouvelle modernité lyonnaise post Tony Garnier. Il y rencontre de jeunes étudiants passionnés d’Art et d’Architecture, tous issus de l’enseignement novateur dispensé dans l’Atelier de la rue de Savoie par les architectes-professeurs René Gages et François Régis Cottin.
Originaire de Vienne, Bernard Paris fait ses études à l'École Spéciale d’Architecture de Paris. Revenu dans sa ville natale, il rencontre Paul Chemetov récemment nommé architecte conseil de la ville. Celui-ci l’intègre, en 1972, dans l’une des équipes phare de la nouvelle génération : l’AUA (Atelier d’Urbanisme et d’Architecture).
Trente ans de maquettes
“Dominique Fau, celui qui est capable de réaliser en tout petit ce que j’avais imaginé en très grand”. René Gagès - 21 juin 1998
Dominique Fau avait à l’origine et garde encore aujourd’hui une passion : le Jazz. Autodidacte en musique comme il le sera en maquettisme, il jouait chaque semaine du piano au Hot Club où se rencontraient peintres, sculpteurs, architectes, photographes, écrivains et artistes. Ce cénacle festif et culturel rassemblait de jeunes créateurs à la recherche d’un art total brisant les conservatismes qui tirerait de la boue la république comme le poète Maïakovski l’avait ordonné aux constructivistes soviétiques.
La musique d’avant-garde ne nourrissant pas son homme, Dominique Fau cherche du travail. Un heureux hasard le conduit à l’agence de François-Régis Cottin où se conçoit et se construit le projet du nouveau quartier de la Duchère. Engagé comme simple dessinateur, il se trouve plongé dans une extraordinaire ambiance faite de débats permanents et de créations concrètes. Il partage vite l’enthousiasme de cette équipe de jeunes architectes et d’étudiants en architecture formés dans l’Atelier de la rue de Savoie.
Il s’intègre naturellement au sein de cette mouvance architecturale, urbanistique et culturelle qui depuis la fin des années 60 s’était développée au cœur de l’agglomération lyonnaise dans l’enseignement et dans les pratiques artistiques.
Cottin cohabitait avec l’architecte Pierre Genton, qui travailla chez Corbu. Pour ces deux créateurs projeter c’était en même temps penser, dessiner et maquetter. Au cœur de l’agence était installée une figure : Manuel Medrano. Ce fils d’un républicain espagnol, fusillé par les franquistes, exilé en France, s’était engagé dans la résistance. Retourné à la vie civile, après un difficile périple il avait rejoint l’agence Cottin comme maquettiste. Il sera impliqué dès la conception dans tous les projets particulièrement ceux de la Tour panoramique et de l’église du Plateau dans le quartier de la Duchère.
Une amitié profonde se lie entre lui et Dominique Fau. À la fermeture de l’agence Cottin sur la suggestion de leurs amis architectes les deux compères fondent un premier atelier de maquettes l’Atelier Fau et Medrano qui s’inspire de l’esprit de l’agence Cottin. Après le départ d’un Medrano prématurément usé par les guerres et l’exil l’atelier devient l’Atelier Fau.
Les maquettes d’étude et de réalisation du pôle multimodal du Cours de Verdun élaboré par René Gagés et deux de ses élèves Guy Vanderaa et Jacques Rey seront leurs premières réalisations significatives.
Au cours des années s’affirme et s’amplifie la capacité de cet Atelier à exprimer en volume et dans leurs contextes aussi bien de simples projets de construction que de complexes projets urbains. L’équipe de Fau s’illustre particulièrement dans l’exploration préalable à la représentation de territoires et de villes. L’un de leur chef d’œuvre sera la réalisation et l’actualisation permanente de la grande maquette de la Ville de Lyon qui figure en majesté dans les locaux d’Archipel.
Dominique Fau collaborera avec les plus significatifs des architectes qu’ils soient lyonnais, français ou internationaux : avec Renzo Piano sur la Cité Internationale, avec Françoise Jourda et Gilles Perraudin sur de nombreux projets dont la maquette de l’École d’Architecture de Vaulx-en-Velin et celle de l’académie de formation Herne Sodingen dans la Rhur, avec Albert Constantin sur la Manufacture des Tabac - Université Lyon III, avec Didier-Noël Petit sur les projets de tours à la Part-Dieu, avec Manuelle Gautrand sur la salle de cinéma à Villefontaine et bien d’autres.
L’Atelier Fau deviendra le plus important atelier de maquettes de France.
Pour ceux, dont l’auteur de cet article, qui ont assisté au départ de cette aventure, l’extraordinaire production de Dominique Fau et de son Atelier s’inscrit parmi les réussites les plus significatives d’une nouvelle génération de professionnels qui depuis les années 70 ont concrétisés les ambitions créatives qu’ils imaginaient dans les bistrots de la place Antonin Poncet ou de la rue Royale en écoutant du Jazz bien entendu moderne.
Créer, c’est se souvenir - Parcours et engagements d’un architecte-urbaniste
“Bernard Paris a une conception héroïque de notre métier… les jaloux penseront que Bernard Paris est un saint laïc. Je dirais plus simplement qu’il est un architecte de notre temps et qu’on ne peut prétendre au logement pour tous ,à l’éducation pour tous, à la société pour tous, à la culture pour tous et aux bâtiments qui le permettent en rêvant d’être assis à la table du prince tout en dessinant ses châteaux ou ses prisons en organisant le décor de ses fêtes”. Paul Chemetov - 10 mars 2018
Bernard Paris nait à Vienne d’une famille modeste résidant dans la vallée industrielle de la Gère. Ses vacances se passent à la ferme de ses grands-parents, construction en pisé typique du Bas-Dauphiné. Il monte à Paris où il est reçu à l’École Spéciale d’Architecture. Il participe activement à la mise en cause de l’enseignement académique dispensé par une institution cependant réputée plus moderne que le Beaux-Arts.
En mai 68, les étudiants occupent l’école et chassent le corps enseignant traditionnel. Ils contactent pour le remplacer ceux qu’ils considèrent alors comme les symboles du renouveau professionnel. Jean Renaudie, issu du mythique Atelier de Mont Rouge, s’étant récusé par manque de temps, ils choisissent comme professeurs le philosophe-sociologue Henri Lefebvre et l’architecte-philosophe Paul Virilio.
À l’issu de ses études Bernard Paris prend comme thématique de son diplôme l’urbanisation de Vienne envisagée sous l’angle des rapports entre la modernité et l’histoire. Après avoir voyagé dans le monde entier et mené des recherches archéologiques en Iran, il revient dans sa ville natale. Il présente son diplôme à Paul Chemetov qui lui achète pour l’insérer dans les études préalables qu’il conduit sur la ville dans le cadre de sa mission d’architecte-conseil de Vienne. Il l’intègre le jeune homme au sein de l’AUA et l’implique dans les projets viennois. Lors de son séjour au siège de l’AUA à Bagnolet, il fait la connaissance de quelque uns des créateurs les plus marquants des années 70. Henri Ciriani et Borja Huidobro l’impressionnent par leur capacité d’expression graphique et leur puissance de travail.
Dans cette ambiance exceptionnelle il se forme à la conception et à la conduite de projets de construction et de projets urbains.
De retour à Vienne il s’installe par la suite à son propre compte. Son Atelier s’illustre depuis par nombre de projets offrant des alternatives à la déshérence des centres historiques et à la crise des grands ensembles
Son propos ne fut pas de remplacer une cité utopique malade de ses contradictions par une citée aseptisée et normalisée. Il essaye au contraire de comprendre et de soigner la ville là où elle souffre. Il construit la ville sur la ville. Bernard Paris ne conçoit pas des règlements bureaucratiques mais des formes urbaines concrètes dans lesquelles vivront des êtres humains.
Les projets urbains qu’il élabore révèlent le génie des lieux en s’appuyant sur leur histoire et sur l’image que se font les habitants de leurs espaces de vie actuels et futurs. Chez lui l’urbanisme technocratique laisse la place à l’urbanisme démocratique.
Bernard Paris n’est pas une star médiatisée. C’est un architecte de terrain qui explore au plus près les lieux où il intervient, qui dialogue avec les habitants même comme ce fut le cas à Marseille quand il doit s’affronter à la violence d’une réalité bien peu romantique.
Cette manière de faire repose sur un travail en commun permanant avec tous les acteurs du lieu. Refusant toute démagogie, se défiant de tout passéisme en architecture, il pratique une modernité revendiquant l’élitisme pour tous.
Bernard Paris a acquis une forte connaissance des sites ruraux en voie de désertification comme architecte-conseil de la Lozère et des sites industriels en crise comme architecte-conseil du Nord.
Ces méthodes novatrices l’ont fait intervenir sur nombre de sites en difficulté de Lille à Marseille en passant par la Métropole lyonnaise. De 1991 à 2010, avec son complice préféré le paysagiste Alain Marguerit, il conçoit et met en œuvre le nouveau centre de Vaulx-en-Velin. Ils bénéficient dans ce projet ambitieux de la pugnacité politique du maire de l’époque Maurice Charrier. Fort de cette réussite la même équipe s’investira dans le projet de mutation du quartier de la Duchère.
Parce qu’il parle de la réalité d’une pratique quotidienne rigoureuse Paul Chemetov pense qu’il est indispensable de lire et de faire lire ce livre notamment dans les écoles d’architecture.
Les parcours de Dominique Fau et de Bernard Paris sont exemplaires. Ils sont nés en des circonstances historiques effervescentes et dans l’exceptionnelle ambiance conceptuelle de l’agence Cottin à Lyon et de l’AUA à Bagnolet. Au départ, ils ont bénéficié d’un environnement peuplé d’acteurs et de projets exceptionnels.
À partir de ces impulsions initiales, exerçant en province, à Lyon et à Vienne, chacun dans son domaine a cultivé le goût de l’innovation, imaginant en permanence de nouvelles manières de représenter et de concevoir villes et territoires.
Profondément ancrés dans leurs terreaux d’origine, ils ne se sont pas enfermés dans le localisme. Partant de leur expérience de terrain, ils sont intervenus à l’intérieur et bien au-delà des frontières de leur ville, de leur région, de leur pays.