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ARCHITECTURE… URBANISME…

DESTINS DE PROJETS URBAINS

Lustre central, tournant comme un manège, cœur du Centre d’Echanges de Perrache. Concepteur : Jean-Pierre Vincent © Photo Marie Noëlle Gillet

Le Centre Directionnel de la Part-Dieu et le Centre d’échange de Perrache symbolisent une Ville de Lyon s’engageant dans la modernité telle qu’à l’époque elle était imaginée.

Le Centre directionnel de la Part-Dieu suscite la critique de théoriciens et de praticiens, mais échappe à la vindicte populaire.

Le Centre d’Echange de Perrache, bien accueilli par le milieu de la recherche architecturale et urbanistique, est rejeté par l’opinion publique. Ayant pour objet de créer un lien entre le Nord et le Sud de la Presqu’île, il a été ressenti comme un mur et comparé à celui de Berlin.

Quarante ans après se pose la question de l’adaptation de ces deux opérations aux circonstances actuelles.

Page “Architecture… Urbanisme” : Jacques Rey
Assisté de Marie-Noëlle Gillet

Ces réalisations relèvent d’approches urbanistiques profondément différentes en théorie et en pratique. Elles sont typiques des différents concepts élaborés 20 ans après la libération. C’est pourquoi les complexes de la Part-Dieu et de Perrache s’inscrivent aujourd’hui dans l’histoire de l’urbanité.
Dans les années 60 de plus en plus d’étudiants et de professionnels contestent, non seulement l’académisme encore dominant dans l’enseignement, mais aussi les bases théoriques du mouvement moderne. Ils dénoncent leurs conséquences sur la localisation et la conception des grands ensembles et sur les pratiques de l’urbanisme de bulldozer.
L’Etat, à l’époque aménageur, ne considère pas l’urbanisme comme un art mais comme un mode de planification. Ce modèle ignore la réalité physique des formes urbaines au bénéfice d’un zonage systématique des territoires. Habitats et activités sont répartis en fonction des catégorisations proposées par la Charte d’ Athènes. Des terrains sont réservés à la construction de logements, notamment ceux destinés à recevoir les futures Zones à Urbaniser en Priorité, les fameuses ZUP.

À Lyon, il s’agit principalement de fortifications ou de casernes libérées par l’armée, telle celle des Cuirassiers à la Part-Dieu construite sous le Second Empire par le Maréchal de Castellane.
L’urbanisation du site militaire de la Part-Dieu figure dans le plan d’aménagement de l’agglomération lyonnaise étudié à la fin des années 40 par les architectes René Gagès et Franck Grimal.

À partir de 1960, l’Etat met en place une planification urbaine centralisée, encourageant la constitution de métropoles équilibrant la région Parisienne et favorisant la mutation tertiaire de l’économie.
Le modèle urbain de référence est celui des Etats Unis réinterprété par Le Corbusier dans le Plan Voisin de Paris.
Le tissu urbain existant, quand il n’est pas détruit, à l’exception des grands monuments, est ignoré au bénéfice d’une ville haute peuplée de tours de bureaux dominant une ville basse faite de « cités radieuses » posées dans des parcs, le tout irrigué par des voies rapides.

L’opportunité politique de faire de Lyon une Métropole d’équilibre bouleverse le programme d’aménagement initial de la Part-Dieu.

L’architecte urbaniste Charles Delfante est chargé par la municipalité lyonnaise d’étudier un nouveau projet urbain qui remplace celui d’unités d’habitations élaboré par l’architecte Jean Zumbrunnen, il n’en reste que les deux barres corbuséennes de Moncey Nord dont l’une a été classée.

Charles Delfante s’était illustré en 1956 par sa participation avec Le Corbusier au projet de « Firminy Vert », application iconique des théories de la Charte d’Athènes. Il conçoit un Centre Directionnel qui sera mis en œuvre par la Société d’Equipement et d’aménagement de la Région Lyonnaise (SERL). Ce Projet, refermé sur lui-même, ignore la morphologie des quartiers alentours dessinés XIX° siècle dans la logique du Plan Morand par l’architecte Christophe Crépet. Pour desservir l’opération, les grandes artères structurantes sont transformées en voies rapides. Les constructions sont posées au gré des opportunités sur une dalle piétonnière construite à la hauteur du deuxième étage des bâtiments alentour.

Face à l’hégémonie de l’automobile, le sort des trains semblait à l’époque être réglé. C’est pourquoi l’intérêt d’une gare de chemin de fer échappe à la logique de cet emblème de la modernité tertiaire.
Un demi-siècle plus tard, grâce au TGV, la gare ignorée est devenue la plus grande gare de correspondance de France, apparaît en évidence l’absence de ses relations avec un Centre Directionnel qui lui tourne le dos et avec les réseaux de transports urbains et interurbains.
La gare agrandie et restructurée nécessite la mise en place d’un véritable pôle multimodal et l’organisation de liaisons organiques avec le Centre Directionnel.

 


Nouvelle entrée principale du complexe de la Part-Dieu côté ouest

Un nouveau projet urbain est élaboré par les architectes urbanistes de l’AUC - François Decoster, Djamel Klouche et Caroline Poulin. Il propose de promouvoir des typologies innovantes entremêlant logements et bureaux. Cette densification du bâti s’accompagne d’une restructuration du site en démolissant dalles, passerelles, silos de parking. Il organise des cheminements piétonniers allant du sol aux toitures accessibles. Le centre commercial est ouvert sur l’extérieur et les voies rapides supprimées. Le Centre Directionnel est relié aux places et aux rues des quartiers alentours. Dans cette optique le paysagiste Alain Marguerite a déjà transformé la rue Garibaldi en boulevard.

Le Projet urbain de Perrache conçu à partir de 1967 par l’architecte urbaniste René Gagès, assisté de deux de ses élèves Guy Vanderaa et Jacques Rey, obéit à une logique urbanistique fort différente de celle du Centre Directionnel de la Part-Dieu.

Ses concepteurs sont issus du mouvement de contestation des années 60. Dans leurs études et dans leurs pratiques professionnelles, ils sont à la recherche d’une alternative au formalisme des compositions néoclassiques et à la déstructuration urbaine, fruit de l’urbanisation productiviste. Inspirés par « l’Archéologie du savoir » du philosophe Michel Foucauld, ils adoptent une vision organique de l’urbanité basée sur l’intelligence des réseaux particulièrement ceux de la mobilité et sur l’analyse structuraliste des formes construites et des paysages.

Le projet urbain de Perrache participe de la tendance dite des Mégastructures. Il se réfère explicitement à la « Cita Nueva » posée sur une autoroute, en 1912, par l’architecte futuriste Antonio Sant’Elia, à la « ville spatiale » de Yona Friedman, aux propositions prospectives du groupe britannique « Archigram » qui avaient inspiré les architectes du Centre Georges Pompidou : Renzo Piano et Richard Rogers, au projet de structuration de Philadelphie de Louis Khan et à celui de Kenzo Tange pour reconstruire sur la gare le centre de Skopje, capitale de la Macédoine, démolie par un tremblement de terre.

 


Projet du nouveau centre de Scopje, Madécoine - Architecte : Kenzo Tange

La Gare de Perrache fut construite, en 1847 sur un talus, résultant du choix politique de faire passer la voie ferrée non à l’est mais au cœur de la ville.

Cette barrière artificielle va couper radicalement le nord résidentiel et le sud industrieux de la Presqu’île. Seuls quelques sombres tunnels permettront de franchir l’obstacle. Frontière physique, elle devient frontière sociale entre le très chic quartier d’Ainay et l’arrière des voutes où l’on met ce qui gêne : habitat populaire, activités industrielles, dépôts, port de marchandise, prisons, marché de gros etc.

Au nord devant la gare, grignotant peu à peu le Cours de Verdun, se constitue dans le désordre le principal centre nerveux des transports de l’agglomération lyonnaise. S’y rencontrent, sans réelle coordination, tous les modes de transports attirés par la proximité de la gare : bus, trolleybus et tramways, cars régionaux et internationaux, stationnements automobiles enfin le métro en construction.
La coupure physique et sociale allait être évidement dramatisée par le passage en douve de l’autoroute comme sur ce fut le cas à l’époque du périphérique parisien.

Les logiques viaires restent dominantes en l’absence de toute réflexion préalable mesurant l’impact de ces choix technocratiques sur le cœur de la cité.
Ici l’objectif n’était pas d’urbaniser une opportunité foncière, mais d’imaginer une solution urbanistique pour palier au traumatisme urbain provoqué par le passage d’une autoroute de transit international au cœur du centre historique de la deuxième agglomération française.

Mis en face de cette situation ubuesque, l’équipe de conception du projet urbain de Perrache se fixe pour méthode de transformer le négatif en positif. Elle imagine un nouveau type de centralité à partir de la mise en liaison de toutes les mobilités du chemin de fer aux cheminements piétons. Cet artefact devrait être suffisamment fort pour relier structurellement, économiquement et socialement le nord et sud de la Presqu’île.
Le complexe n’avait pas pour objet de célébrer l’automobile, mais de la civiliser pour rendre possible la survie de tissus historiques protégés du flot des véhicules.

Ce projet initial réalisé dans sa totalité serait devenu un pont urbain actif franchissant par le haut les obstacles, amorçant un avenir nouveau pour le sud de la Presqu’île.
Cette proposition novatrice s’est heurtée au manque de volonté politique, mais aussi à l’incapacité de grandes institutions publiques de se concerter pour réaliser un projet fédérateur. Seul reste de l’ambition initiale le Centre d’échange actuel posé sur l’autoroute. Le franchissement en superstructure des voies de chemin de fer et de l’autoroute devait amorcer un pôle d’activité culturel et économique reliant la place Carnot au cours Charlemagne.
L’artère de transit n’est plus qu’une qu’une succession de passages et de passerelles se concluant par un débouché brutal au Sud.

N’ayant pas pu à être mis en œuvre à Lyon ce concept a vu le jour, 30 ans plus tard suite à la chute du mur, pour la gare centrale Berlin par l’architecte Meinhard von Gerkan.

 


Berlin Hauptbahnof (entrée sud) - Architecte Meihard von Gerkan © Photo Marie Noëlle Gillet

Néanmoins le pôle d’échange de Perrache reste le premier réalisé en Europe et sous cette forme dans le monde.
En 1997, l’idée été reprise à Lyon-Vaise par l’architecte Didier-Noel Petit.

Régulièrement promis à la démolition, le pôle d’échange est encore debout mais son cœur, destiné à accueillir des activités économiques et culturelles, s’est inexorablement désertifié. L’Espace Lyonnais d’Art Contemporain « ELAC » a disparu ainsi que la plupart des commerces installés en un espace dont il ne reste que les murs rideaux et la structure centrale dus au grand ingénieur Jean Prouvé à laquelle est suspendu le magnifique et très menacé lustre du designer Jean-Pierre Vincent.


Lustre central, tournant comme un manège, cœur du Centre d’Echanges
de Perrache - Concepteur : Jean-Pierre Vincent © Photo Marie Noëlle Gillet

Le Centre d’échange s’inscrit dans l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme du XX° siècle.
Ses plans et ses maquettes sont conservés au Centre Georges Pompidou. C’est pourquoi sa restructuration fait aujourd’hui l’objet d’une consultation internationale d’aménageurs et d’architectes. Il s’agit d’accueillir dans le respect de ses espaces architecturaux des activités culturelles et économiques ainsi que l’avait imaginé le projet initial.

Quatre équipes ont été retenues pour avancer des propositions. Elles sont constituées de promoteurs spécialisés dans la mutation des bâtiments du XX° siècle, d’architectes du patrimoine et d’architectes de renom international : les californiens de Studios architecture, le newyorkais Daniel Libeskind auteur de la reconstruction du World Trade Center, le japonais Shigeru Ban auteur du Centre Pompidou de Metz, l’autrichien Dietmar Feichinger.

Rejet ou Renaissance « that is the question ».