- Chroniques sur divers sujets
“DANSE AVEC LES MORTS”
INTER, ART ACTUEL DÉFEND L’ŒUVRE DE PIERRE PINONCELLI

Le texte qui suit est publié dans la revue québécoise Inter, Art Actuel qui défend l’œuvre de Pierre Pinoncelli depuis 2000. Elle lui a d'ailleurs consacré plusieurs articles.
Elle était partie prenante, avec l'association “Les Amis de Pierre Pinoncelli” du colloque Pierre Pinoncelli : Total return ! organisé dans ses locaux les 26, 27 et 28 avril 2019.
https://inter-lelieu.org
Texte de Michel Guinle
“Danse avec la Mort”
Pierre Pinoncelli, alias "le prochain des Mohicans", alias "Danse avec la Mort" vient de quitter le bâtiment ! Depuis le samedi 9 octobre à 4h du matin, la Camarde l'a libéré de toute obligation envers le genre humain…
Comme Guy Debord (1931-1994) et les Situationnistes Pierre Pinoncelli a rêvé de destituer le Monde… Comme eux, il a failli – nous laissant ainsi toutes nos chances pour y parvenir.
Alors, que nous donne en héritage ce créateur dont la revue Inter, Art Actuel et l'association Les Amis de Pierre Pinoncelli ont salué la pensée par un colloque à Québec les 26, 27 et 28 avril 2019…
Tout d'abord une œuvre plastique impressionnante s'organisant en séries. Celle des 40 Morts (1961), amère critique de "la guerre froide" s'inaugurant avec l'atomisation des corps à Hiroshima et Nagasaki.
Puis, la série des Monstres et des Métamorphoses (1962), violente diatribe contre les compagnies pharmaceutiques et le scandale du Thalidomide®, suivie de celle des Hommes cibles (1965) où l'artiste révèle l'ambivalence d'un Homme à la fois victime et prédateur.
Plus près de nous, en 2003 : Welcome to Auschwitz, fresque martelant l'ignominie de "la solution finale" et des camps de la mort (ces œuvres sont accompagnées d'une performance fulgurante où l'artiste pénètre dans l'une de ses toiles et... disparaît).
Sans oublier la saga des Personnages inscrivant sur leurs corps la loi pinoncellienne, ainsi que l'ensemble des drapeaux nationaux dont le titre J'irai pisser sur vos drapeaux s'inscrit dans la pensée destituante et non conforme.
Voilà pour l'essentiel des œuvres peintes ou assimilées.....
Les Actes du colloque : Pierre Pinoncelli : total return ! sont disponibles pour la somme de 25$ canadiens aux Editions Intervention, 345 rue du Pont à Québec, Canada et pour la somme de 15€ + port à l'association Les Amis de Pierre Pinoncelli 142 chemin de La Perronnière 42140 La Gimond, France.
Les intervenants : Maurice Fréchuret – Virgile Novarina – Catherine Bernard Guinle – Richard Martel – Guy Sioui Durand – Armand Vaillancourt – Jacques Bouffard – Georges Azzaria – Michel Guinle – Jacques Mascotto et Michaël La Chance.
Maintenant, voici l'autre part de l'héritage : les performances et les happenings… Pierre Pinoncelli fut l'inventeur du "happening de rue", celui qui clame haut et fort qu'il vaut mieux être dans la rue qu'à la rue !…L'insurrection est proche…
Pour Pinoncelli l'artiste dans la rue rencontre la VIE avec un grand V, celle qui vaut le coup d'être vécue : l'Existence... "L'Être en projet qui fait", ça c'est "La Vraie Vie" et Pierre Pinoncelli, à travers ses happenings, ne nous dit que cela…
La meilleure façon de se sentir vivant – d'exister – c'est de renvoyer au néant la pensée sérielle qui pue la fosse commune, l'opinion et ses relents de sondages abrutissants…
Le happening de rue pinoncellien nous exhorte à penser par nous-mêmes : tel est le préambule à toute volonté de destituer et faire ce qui dès lors devient impensable de ne pas faire… C'est ainsi que Pierre Pinoncelli créa des merveilles de situations.
1969, Attentat culturel au pistolet à peinture rouge contre André Malraux, alors ministre républicain de la culture…, venu inaugurer dans la banlieue de Nice un musée rendant hommage à Marc Chagall… Bilan : destitution symbolique de l'idéologie républicaine visant à récupérer l'Art, le Malraux révolutionnaire de L'Espoir et le Chagall du "Train d'Eisenstein"…
Nice 1970, départ le 4 Juin de la Promenade des Anglais du plus long happening de l'histoire de l'art du XXe siècle : Nice-Pékin à bicyclette… Happening politique, poétique et physique de plusieurs mois où l'artiste se propose de remettre au Président Mao le message de paix de Martin Luther King connu sous le nom : "I have a dream…".
Son vélo est dérobé à Ankara… Il continue "à pied, à cheval, à dos de camion" ce périple de 12 000km, traversant Iran, Afghanistan, Pakistan, Inde et Népal… A Katmandou, l'ambassade chinoise lui refuse l'entrée en Chine, après un geste symbolique de protestation il rentre en France…
Mais alors que tous : journalistes, politiciens, amis et surtout ennemis le pensent artistiquement et politiquement fini, Pinoncelli retourne la situation le 13 janvier 1971 à Paris devant l'ambassade de Chine en procédant à trois mémorables autodafés… Il se marque le visage au fer rouge, puis il incendie le message de paix de Luther King, il brûle enfin le poster effigie de Mao punaisé sur un platane… Il annonce à la presse la fin – selon lui – du happening Nice-Pékin et, allumant calmement une "Craven A", prépare ses réponses aux journalistes et reporters venus couvrir l'événement.
1975, Hold up à La Société Générale au fusil à canon scié et balles à blanc, 10F pour protester contre le jumelage Nice/Le Cap en plein apartheid. C'est le niçois Ernest Pignon Ernest qui lui inspira ce happening en collant un an auparavant des affiches sérigraphiées dénonçant la misère d'une famille sud-africaine…
Elles furent rapidement décollées et détruites par la municipalité alors que le happening de rue pinoncellien continua par un procès et un Hommage au Juif inconnu pendant le jugement.
Lyon 1994, Diogène, 1er S.D.F. ? Vivre dans un tonneau dans la rue par choix délibéré c'est prendre le risque de se faire ramasser par les flics pour "trouble de l'ordre public", pendant que les pouvoirs n'ont de cesse de banaliser la présence dans la rue des S.D.F. (Sans Domicile Fixe) comme s'ils étaient du mobilier urbain.
Par ce happening, la pensée paradoxale de Pinoncelli se dévoile… Car s'il est sur le plan de l'Existence plus signifiant d'être dans la rue qu'à la rue, cette existence s'avère être beaucoup plus périlleuse que la présence d'une vie ayant abandonné tout idée d'indignation.
2002, Un doigt pour Ingrid au festival international de la performance de Cali (Colombie), le coup de maître de Pierre Pinoncelli sera de transformer en quelques minutes un événement “d'Art pour l'Art" s'inaugurant sous le signe de "l'entertainment", du politiquement correct et du conformisme généralisé en un véritable champ de bataille politique…
Situation destituante rappelant que la Colombie est en pleine guerre civile entre des délinquants en col blanc qui gouvernent et les Farcs (pseudo-révolutionnaires mais vrais narco-trafiquants et preneurs d'otages)…
Certes le doigt que Pinoncelli s'ampute devant le monde entier est bien comme ose le penser Ingrid Betancourt – dans le film de Virgile Novarina – un acte qui met en lumière "l'horreur de cette séquestration, cette séparation de ceux qu'on aime…comme une mutilation"…
Mais c'est aussi et par dessus tout – dans la pure tradition des Yakusa – rendre son honneur et sa dignité à un festival entrain de succomber à la tentation de la société du spectacle. La création radicale pinoncellienne procède toujours par destruction / création, construction / création, destruction / création, construction / création etc…
La destruction est déjà un moment de création essentiel… Il est destruction de ce dont on ne veut plus et/ou de ce dont on n'a jamais voulu mais qui est pourtant là comme une verrue sur un nez. Il est le socle sur lequel s'appuiera toute destitution du Monde… destitution nécessaire pour pouvoir enfin envisager de renaître en imaginant et construisant des créations auxquelles il était même impossible de rêver avant ce processus.
Destituer c'est remettre l'Imagination au Pouvoir et c'est s'indigner en conservant coûte que coûte son Honneur… L'Honneur et l'Imagination, couple inter dépendant, dont tout ennemi voudra "raisonnablement" nous priver…
Le 15 Octobre 2021 avait lieu au cimetière de Charly, village de l'agglomération lyonnaise, l'inhumation de Pierre Pinoncelli. L'institution "Pompes funèbres" bien qu'armée de huit bras costauds, eut beaucoup de mal à faire entrer le cercueil dans le caveau familial…
La petite foule de proches et d'amis s'aperçut bien évidemment de l'incident, ce qui fit dire à certains : "Décidément, Pierre n'a vraiment pas envie de passer son éternité en ce lieu…". Ironie du sort, ce cimetière jadis en pleine campagne se trouve, depuis quelques années – business oblige – , cerné de très près par divers lotissements, à tel point – la bêtise humaine étant incommensurable – qu'une pétition semble circuler pour… déménager le cimetière !...
Le dernier happening de rue pinoncellien a déjà commencé…
Pierre Pinoncelli : “L'artiste à la phalange coupée (teaser)”
https://www.youtube.com/watch?v=xvYznOSzA_o