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FESTIVAL D’ART PERFORMANCE « VIVA! », MONTRÉAL

photo : Diyar Mayil, Michelle Lacombe ©Sylvie Ferré

Quatre ans après la dernière édition le Festival d’Art Performance VIVA ! fait son retour à Montréal, à l’Union Française, louée pour l’occasion. VIVA ! est une Biennale créée en 2006 par six centres d’artistes autogérés de la région de Montréal.

Aujourd’hui, c’est le fruit d’une collaboration entre quatre co-diffuseurs de la programmation (DARE-DARE, LE LIEU, CLARK ET OBORO), chacun amenant de l’argent. Accueil chaleureux et bienveillance sont les atouts majeurs de VIVA ! dont l’une des particularités, ayant fait le choix de découvrir leur travail en même temps que le public, est de ne pas demander, en amont, aux artistes invités le détail de leur performance.

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Page “Performance” : Sylvie Ferré
Relecture : Jean Mereu

Une vingtaine d’artistes de tous pays, dont plusieurs autochtones amérindiens, sont invités pour démontrer la puissance et la pertinence actuelles de la performance. Avoir l’opportunité de croiser le travail de performers d’origines si différentes est une vraie richesse. Plusieurs d’entre eux vont évoquer une histoire vécue, ressentie à la fois comme témoignage mais aussi telle une forme d’exorcisme, permettant la délivrance d’un passé douloureux. D’autres s’inspireront de leurs racines, de l’actualité, sous le regard amical et pétillant de Michelle Lacombe, la directrice. Mais la performance la plus insolite reste celle de l’artiste turque Diyar Mayil qui choisit, accompagnée d’une belle équipe, de cuisiner au quotidien pour nourrir participants et public, ce qui sort de son habituelle ligne artistique. Une réussite gustative !

Le malaise créé par Anguezomo Mba Bikoro, artiste féministe queer du Gabon, va croissant. Elle rentre dans l’espace sur un brancard soutenu par quatre porteurs, accompagnée de miaulements de chats, le corps vêtu de blanc, entouré de bandelettes. Elle les enlève, court dans la salle comme poursuivie, écrit sur le mur en hurlant des mots qui évoquent une agression violente subie. Peu à peu, elle révèle un viol, des coups de couteaux, un étranglement, son impossibilité de se défendre, son souci de protéger les enfants… Puis l’hôpital, le temps passé à se reconstruire physiquement et psychologiquement, avec le bruit des machines de réanimation. Elle efface ses écrits sur le mur, dans une tentative de résilience et à la fin nous lui jetons des gants chirurgicaux remplis d’eau.
C’est tellement réaliste que l’on comprend qu’il ne s’agit pas là d’une simple évocation des maltraitances faites aux femmes de son pays d’origine, mais bel et bien d’un vécu personnel, ce qu’elle me confirmera.

 


Jelili Atiku ©Sylvie Ferré

Jelili Atiku vient de Lagos au Niger. Le titre retranscrit de sa performance est « Nous existons depuis longtemps ». Effectivement, Jelili se réfère à ses origines, pour maintenir le lien avec les traditions ancestrales de son peuple, conscient de venir d’un vieux continent, il se positionne en gardien protecteur de la mémoire. Dans un dialogue silencieux avec l’audience, il se tient immobile sur la place extérieure face à l’Union Française. Son corps est recouvert d’un quadrillage de peintures blanches, évoquant les peintures ancestrales africaines, mais aussi l’esclavage. Il tient à la main un grand bâton sculpté, comme un sceptre, un symbole ancien d’autorité attribué généralement au chef de tribu. La fixité de son regard nous engage au silence, ce sera une forme de dialogue avec nous. Derrière lui, posé au sol un grand tissu coloré recouvert d’une cinquantaine de statuettes en bois sculpté. Ce sont des Orishas, des divinités originaires d’Afrique introduites lors de la traite des noirs. Ces êtres d’essence divine représentent les forces de la nature et sont honorés de génération en génération, comme le Vaudou en Haïti, ou la Santeria à Cuba.
En fixant chacun de nous, il nous invite à ouvrir notre conscience. Il vient tous nous saluer, puis nous montre les pages de son grand cahier à dessin, rempli de symboles anciens représentant les divers éléments. Il vient vers nous avec des craies et nous incite à reproduire le dessin sur le sol. Il se couvre le dos avec le lourd tissu recouvert d’orishas, l’attache, reproduit au sol un dernier dessin puis avance ainsi, paré de cette cape imposante et de son bâton sculpté. Sans nul doute il est le gardien protecteur de la mémoire ancestrale. Nous le suivons jusqu’à l’église située en face, où il va déposer son manteau sur les marches ainsi que le bâton. Du haut des marches, il criera « Je suis l’Ancien ». Pendant plus d’une heure, Jelili a créé un lien profond avec nous. Au travers d’un dialogue silencieux, il nous a transmis l’énergie vibratoire de ses origines ancestrales.

 


Catherine Boivin ©Sylvie Ferré

Catherine Boivin est une autochtone atikamekw. Elle utilise les médias pour populariser les cultures autochtones, qui subissent discrimination et racisme, et déconstruire les clichés, le plus souvent avec beaucoup d’humour. Elle poste régulièrement des vidéos dans ce sens sur TikTok.
A VIVA ! c’est un sujet beaucoup plus grave qui sera abordé, celui des femmes des tribus ayant subi des stérilisations forcées des avortements non consentis ou des violences obstétricales. Assise sur une chaise, plusieurs liens pendent entre ses jambes sous sa robe. Elle se masse le ventre, se masque les yeux et enfile une paire de gants chirurgicaux bleus. Devant elle, cinq chaises sont disposées. Elle hurle qu’on lui a tué ses enfants, elle coupe au ciseau les liens, en fait une petite boule en chantonnant, ce qui n’est pas sans rappeler une berceuse, puis dépose sur chaque chaise le petit tas. Ensuite l’artiste accroche à chaque lien resté dans sa culotte, une clochette qui tombera lorsqu’elle sautera. Elle distribue du tabac au public et en dépose un peu sur les pseudos embryons, et finit par enrouler le tout dans un petit mouchoir.
Sachant que la dernière intervention forcée eut lieu en 2019, il est temps de comprendre le traitement médiatique réservé aux femmes des Premières Nations.

 


Mathieu Beauséjour ©Sylvie Ferré

Le gigantesque gong en métal doré martelé de l’artiste Mathieu Beauséjour trône au milieu de l’espace. C’est une copie de celui qu’a acheté le Musée d’Art Contemporain de Montréal. En référence au mythe d’Icare qui s’est brûlé les ailes en s’approchant trop près du soleil, l’œuvre construite par lui, lui servira à détourner subtilement le pouvoir de l’argent pour bien en montrer l’insignifiance.  Après une entrée fracassante, rythmée du choc de deux matraques, l’artiste cagoulé, membre fondateur de VIVA !, prend un sac de petites pièces de monnaie, qu’il va jeter une à une sur le gong, prenant soin au préalable de lire la date inscrite sur la pièce. Difficile au public de résister à l’envie de se joindre à la performance… Nous participons tous à l’action de lancer notre petite monnaie, ce qui va produire un bain sonore. Quelques phrases ponctuent son jeu, dont « Les meilleures choses dans la vie sont gratuites».

 


Stvn Girard ©Sylvie Ferré

Stvn Girard, le nouveau directeur artistique du Lieu à Québec, réalise, entre autres, un doctorat traitant des archives de la performance. Pour cela, il visite pas mal d’artistes archivistes en Europe. Une série d’actions assez brutales et rapides vont se dérouler sous nos yeux. Nous comprenons qu’il s’agit d’un clin d’œil au travail de certains performers internationaux, des références dans l’art performance, des artistes politiques. Un hommage en quelque sorte, qui questionne aussi la propriété intellectuelle.
Contre une règle en fer, l’artiste élime une scie, jette violemment les tables au centre de la pièce, monte sur l’une d’elles, lit un texte en extrême tension -tout cela va très vite-, il trempe sa tête dans un seau et en ressort avec le bas du visage collé de poudre bleue. Puis, dans sa bouche, il tient une langue de veau. Jeu de miroir, intervention au milieu du public… Au final, il casse sur sa tête des assiettes en argile, et termine en découpant la langue de veau sur une table avec la scie. L’œuvre politique de Stvn est intéressante car révélatrice d’une extrême énergie et d’une intensité prenante. Tout au long de sa prestation, il maintient une tension palpable jusqu’au moment où il quittera la pièce.

 


Paola Martinez ©Sylvie Ferré

Paola Martinez vient de Cuba. Elle vit à New York. A l’extérieur de l’espace dans un coin tranquille, vêtue de blanc, elle s’allonge dans l’herbe verte, son père lui pose sur la poitrine une énorme pierre. «  Breathe », tableau vivant, elle restera sans bouger plusieurs heures durant. Poids, du monde, poids ressenti par tous les cubains, à l’extérieur de l’île comme à l’intérieur. Poids d’un déracinement, sans nul doute.

 


Wathiq Gzar Al-Ameri ©Sylvie Ferré

Un autre performeur exilé est l’irakien Wathiq Gzar Al-Ameri. En tant qu’artiste réfugié, il a fui l’Irak avec un ami, et s’est installé en Suisse. Notre première rencontre date de 2014 à Toronto lors du Festival 7A*11D. Avec Ali Al-Fatlawi, son complice, ils performeront ensemble plusieurs années. Mais, c’est seul, qu’à VIVA ! il choisit de faire une performance qui va durer 5 heures. Tout ce temps nous resterons scotchés à sa présence. Tant qu’il est impossible de ne pas suivre cette action d’endurance en entier.
Wathiq a choisi trente-trois drapeaux de pays actuellement en guerre. Sa performance « Patriotic Stain », « Tâche patriotique » utilise tout l’espace. Dans un angle, il a installé trois gros ventilateurs au sol. Il choisit les associations de drapeaux, deux par deux. Par exemple Pologne/Russie, France/Congo, …. Il maintient les drapeaux ensemble, ils flottent au-dessus des ventilateurs. Il revient vers le centre où se trouve un podium immaculé et une lessiveuse qui fume. L’eau bout. Il trempe les deux étendards dedans et remue. Puis il les sort, les jette sur le socle, il prend un des flacons de couleur au sol (vraisemblablement un liquide stabilisateur de couleur), les arrose, puis les frappe sur le support afin d’égoutter le liquide pendant de longues minutes, avant de les suspendre sur un fil tendu. Durant toute sa performance, nous pouvons choisir sur un ordinateur l’hymne de notre choix parmi les pays suggérés. Le processus se poursuit inlassablement jusqu’à ce qu’il ait associé tous les drapeaux ensemble 'Le socle' ressemble alors à un autel de sacrifice. Quatre heures et quelques plus tard, il attache tous les drapeaux ensemble et sort à l’extérieur avec cette grande banderole. Il s’en attachera les pieds ensemble, et demandera à l’audience de tirer chacun d’un côté… suspendu tête en bas… en écrivant sur le sol à la craie dans sa langue d’origine.
Il ne parle pas. Sa narration passe par l’action. Il va au bout de l’épuisement, comme pour s’acquitter d’un poids, à la fois sacrifice et résilience en somme. Il utilise des symboles politiques, qui traitent de la mémoire, de ceux qui sont partis, de la cruauté révélée par la guerre et forcément de la paix désirée.
Par son impressionnante présence, son incroyable endurance devant l’imposante tâche et la durée qu’il s’impose, sa performance restera le « must » de ce festival d’art action.

Seth Cardinal Dodginghorse et  Isabel Vasquez sont tous deux des artistes amérindiens. Dans l’obscurité, lui joue de la guitare, elle, du tambour. La performance « Sorry is a sorry does » va traiter en parole de la violence faite aux indigènes par le gouvernement canadien et l’église catholique, ainsi que des atrocités commises dans les écoles et du nombre d’enfants morts. Peu à peu est intercalé un rituel de repentance, des conseils comme laisser la peine couler, ne pas oublier la mémoire, symboliser la douleur reçue, prier, dire « désolé », « excusez-moi »… Au final Isabel interprétera avec zèle une chanson de Nirvana.

 


Tania Mars ©Sylvie Ferré

La clôture de ce huitième VIVA ! est faite sur une note plus légère et bienvenue par Tania Mars. Déguisée en majorette, Tania va dévoiler avec humour les résultats d’un sondage effectué auprès du public les deux premiers jours du Festival par rapport à l’état du monde. Quelques-uns sont sceptiques, d’autres encore optimistes. Son discours va beaucoup faire rire et c’est sur cette note de gaieté que nous nous quittons.

Je ne répéterai jamais assez que le Québec, dans la vie courante, ce grand pays, est celui du respect mutuel, de l’attention portée à autrui, de la politesse, qui génèrent un sentiment de bien-être bienvenu comparé au fléau de l’incivisme que nous supportons en France, et qui coûte un maximum à la collectivité. Il n’est pas étonnant de constater que de nombreux artistes étrangers se soient installés là, où ils peuvent développer leur créativité sans l’oppression ressentie dans certains de leurs pays respectifs.
Toutefois, et comme dans d’autres pays, hélas, nous ne pouvons occulter les dégâts encore présents liés à l’ancienne colonisation.

SYLVIE FERRÉ