- Chroniques sur divers sujets
LA FONDATION BULLUKIAN
“Un acteur privé dans le monde de l’art”

Place Bellecour en plein cœur de Lyon l’espace de la Fondation Bullukian, fermé pendant un an et demi pour travaux, présente depuis peu son nouveau visage. Le spectateur qui a connu l’ancienne forme de ce lieu d’exposition découvre un espace élargi, lumineux, éclairé de spots modulables qui font apparaître chaque oeuvre dans un halo, et ponctué de discrets rappels de l’ancien bâtiment ; la cour du fond où l’on est guidé par un cheminement a pris aussi son ampleur et conduit à une deuxième salle, à l’identité architecturale différente avec pierres apparentes aux murs, coin spécifique pour la vidéo et sortie sur la petite rue Boisset.
Texte Evelyne Rogniat
Auriane Lagas, chargée de la médiation, et Fanny Robin, commissaire d’exposition, se réjouissent qu’après une longue fermeture le public ait retrouvé le chemin de la fondation Bullukian. La double configuration permet d’exposer deux artistes simultanément, de les mettre en rapport tout en donnant à chacun son propre espace.
Depuis janvier 2019, c’est une exposition en duo : Tutundjian/Di Fabio. Le conseil d’administration de la Fondation Bullukian a choisi de montrer une série d’œuvres conséquente de Léon Tutundjian pour plusieurs motifs : le lien récemment noué avec les association et fondation Léon Tutundjian que la fondation Bullukian “abrite” ; l’origine arménienne - celle de Napoléon Bullukian, fondateur et donateur de la fondation - reste vivante, et son destin a eu des points communs avec celui de l’artiste : à la suite du génocide, exil, orphelinat puis reconstruction d’une vie nouvelle à Paris à partir de 1923.
Léon Tutundjian a vécu de son travail de céramiste mais a produit aussi une œuvre artistique originale qui combine les formes organiques et géométriques.
Il participa à la fondation de l’abstraction, côtoya le surréalisme, recueillit l’admiration dans le milieu de l’art moderne, parmi les Arp, Miro, Picasso ou Giacometti, fut l’ami de Jean Hélion… et vécut “un oubli injustifié”. Récemment l’historienne d’art Gladys Fabre et le galeriste Alain le Gaillard travaillent à sa réhabilitation ; l’exposition lyonnaise présente un ensemble d’œuvres sur papier ou en volume d’une modernité tout à fait actuelle.
C’est le même intérêt pour la science et les formes du macro et du micro cosmos qui relie Tutundjian et Di Fabio ; en effet ces artistes s’inspirent de la biologie comme de l’astronomie en transcendant l’opposition entre abstraction et figuration, art et science. Pour Di Fabio, structures biologiques, formes biomorphiques traitées en couleurs vives et pures. Sa carrière, après des études d’art et de gravure à Rome et Urbino, a émergé au niveau international via New-York et l’intérêt du galeriste Gagosian. Ses grandes toiles colorées et comme animées des mouvements du vivant prennent toute leur ampleur sur les murs de pierre du deuxième espace. C’est ainsi que la fondation Bullukian joue son rôle de centre d’art qui soutient la création contemporaine.
La visite de cette exposition et les interviews de plusieurs membres de l’équipe - dont la nouvelle assistante Pauline Roset - et un bref échange avec le président du conseil d’administration Jean-Pierre Claveranne nous ont permis de mieux comprendre le fonctionnement et le rôle de ces structures privées que sont les fondations. Suite à la donation de Léa et Napoléon Bullukian en 1983, c’est une totale indépendance financière qui permet à la fondation Bullukian de réaliser ses missions d’intérêt général ; et, récemment, de réaliser la rénovation de son espace.
La fondation Bullukian a aussi une dimension économique et morale qui lui donne le rôle de “fondation abritante” pour 18 fondations “abritées” qui bénéficient de son expérience et de son assise juridique. C’est ainsi que la jeune fondation Tutundjian l’a rejointe.
La Fondation Bullukian s’est donné trois missions : accompagner les créateurs qui s’engagent dans une réflexion du quotidien pour observer, expérimenter et révéler les mutations du monde qui les entoure, en tant que centre d’art qui collabore avec les institutions publiques et participe à des biennales ; soutenir l’innovation dans les domaines de la santé et de la recherche médicale ; et, dans le cadre d’une Commission “des Œuvres Sociales Arméniennes“, délibérer sur des demandes de subventions et soutenir des projets. Les soutiens, d’abord sous forme financière, sont aussi symboliques ; et c’est bien l’enjeu pour une fondation : que son action rayonne et soit reconnue comme une participation spécifique à l’œuvre commune.