- Chroniques sur divers sujets
PERFORMANCE QUEBEC #1
ET VIVE VIVA !

Au Québec, pendant 10 jours, j’ai pu constaté la créativité performative foisonnante de nos amis francophones. Par le biais de 2 festivals, le premier à Montréal, le second à Chicoutimi et une soirée juste incroyable et enragée au Lieu à Québec.
La performance est tellement ancrée au Canada, qu’il existe un salaire officiel de performeur qui, en 2020, sera de 413 dollars.
Page “Performance” : Sylvie Ferré
Relecture Jean Mereu
VIVA !, à Montréal, sous la houlette de la pétulante Michelle Lacombe, réunit en quatre jours une vingtaine d’artistes présentant performances, interventions dans l’espace public, infiltrations variées sur les réseaux sociaux, et ce, tout au long de l’événement. D’intéressantes conférences sont planifiées à l’UQAM (Université du Québec à Montréal), et pour créer un maximum de convivialité, le quartier général du Festival se tient aux Ateliers Jean Brillant, où un repas gratuit est offert à tous, public y compris, réalisé de main de maître par un sympathique équipe. La cuisine est au cœur du Festival. Quelle ambiance !
VIVA ! est une Biennale créée en 2006 par six centres d’artistes autogérés de la région de Montréal. Aujourd’hui, c’est le fruit d’une collaboration entre neuf partenaires artistiques, chacun amenant de l’argent. Grâce à l’accessibilité de ses activités et à son soutien professionnel de la prise de risque artistique, VIVA ! se taille une place incontournable dans le paysage culturel de Montréal, se présentant comme l’une des manifestations les plus populaires et respectées en son genre au Canada. Chaque soir, au moins 300 personnes y assistent, dont beaucoup d’étudiants des Beaux-Arts. Pour l’avenir, VIVA ! entend préserver cette discipline, précaire mais importante, et défier ainsi la culture existante à Montréal.
Simon Brown, grâce à une écriture performative, infiltre les réseaux sociaux en intervenant sur le site du festival. Sa poésie expérimentale agit comme un facilitateur érigeant un dialogue textuel avec certaines des performances via Twiter.
Et Ignacio Perez Perez, grâce à ses photos traduit l’atmosphère unique de VIVA ! sur Facebook et Instagram.
Lauryn Mannigel, basée à Berlin, propose dans un camion aménagé pour l’occasion, une expérience olfactive. Elle explore la politique des odeurs corporelles en invitant chacun à examiner son ressenti face à l’odeur des aisselles laissées sur un coton dans de petits pots par les participants précédents, ce qui n’est pas sans créer des liens olfactifs intimes, voire aussi quelques répulsions.
Les actions du Japonais Seiji Shimoda (présent aux Polysonneries 2001) sont toujours expérimentales et éveillent des images poétiques. Il est constamment à la recherche de nouvelles manières de s’exprimer. C’est aussi en réaction à la pression sociale qui règne dans son pays, où 30 000 personnes se suicident chaque année. À Montréal, pendant Art Nomade à Chicoutimi, au Lieu à Québec, il réitère sa performance, au départ mystérieuse, mais dont je découvrirai au fur et à mesure de la répétition de nouvelles clefs de compréhension.
Il reste debout, mains le long du corps, le buste en extension arrière, il fixe le plafond 40 minutes durant, au son d’une musique japonaise en boucle. Cette tension est prenante. Parfois, il laisse voir une amorce de sourire, ou une grimace, un souffle. Je ne peux m’empêcher de penser au principe de l’immanence car l’on ne peut changer ce qui est immuable. Le public reste extrêmement attentif, stupéfait par cette volonté puissante, cette endurance face à l’inconfortable position. Au Lieu, est révélé le titre de la performance “Début de coucher de soleil”, et pendant Art Nomade, je comprends que cette action est en mémoire à ses amis morts cette année, dont le célèbre Lee Wen. Quant à la musique, il s’agit d’une chanson populaire des années 60, du compositeur Hachidai Nakamura, et de l’auteur compositeur Roku Suke.
À l’époque, ce tube sirupeux fut N°1 au hit des USA.
Seiji Shimoda
Hugo Nadeau, propose une performance en hommage à Francis Arguin, puisque ce dernier a arrêté 10 ans plus tôt de faire des performances pour se consacrer à la sculpture. Si Nadeau poursuit la pratique de Francis depuis quelques temps en y amenant sa touche personnelle, il annonce que ce sera la dernière fois. Et là, il se lance dans une action époustouflante, drôle, essoufflante, poétique et absurde : “Proposition pour quitter le sol” ou encore “Une performance qui serait de Francis Arguin”. D’une surabondance de geste enchainés, d’objets anodins bricolés, Nadeau joue, surprend et déroute. Sans reprendre son souffle, il transforme des objets du quotidien, en modules hybrides de carton et papier, comme des pastiches d’objets réels. Le jeu devient narration, voire marathon. Il pousse un chariot sur lequel sont posés divers objets, sort une flamme en carton d’un sac, s’assoit joue de la guitare en faisant semblant de chanter, scotche des plots sous ses pieds et les utilise comme des pédales pour changer la tonalité, le son fort puis moderato. Ensuite Hugo se livre, en équilibre précaire à l’envers sur une chaise, à diverses pitreries, pieds en l’air, ou debout, en totale instabilité, toujours avec ses pseudos-pédales aux pieds. Il file vers le mur et, avec une brosse en fer, trace un arc-en- ciel de couleur, porte un tee-shirt Hocus Pocus. Pieds et mains posés sur les roulettes de son charriot en bobines de scotch, il essaye d’avancer à 4 pattes sur cet équilibre précaire puis revêt une toge bleu vif, pose une lune sur sa tête, et, tel un empereur se fait hisser par un charriot élévateur dissimulé jusqu’à présent derrière des portes fermées. D’un geste olympien, il domine la foule, saluant avec des baguettes. Une hilarité générale accompagne cette course effrénée.
Hugo Nadeau
Et pendant ce temps, Cindy Baker en nuisette est allongée sur son matelas recouvert de coussins, entourée de plusieurs lampes. Elle propose d’informelles rencontres, des partages de vies intimes, pour faire ressurgir les mémoires enfouies. Chaque soir, elle a soin de déposer sur des plats, dans des endroits discrets, diverses sucreries dont chacun pourra se régaler.
Cindy Baker
La Colombienne, Maria Evelia Marmolejo, à travers le corps de la femme aborde les enjeux sociaux, politiques, et écologiques qui affectent l’Amérique Latine. Durant sa pénible performance, elle reste couchée, nue, à plat ventre sous un double rail de bougies qui coulent lentement d’abord, puis de plus en plus vite, testant sa résistance à la brûlure, jusqu’à ce que tremblant de tout le corps, elle mette fin à ce supplice. C’est une des figures phare de la performance féministe la plus radicale des années 70. Tard dans la nuit, son action vue par peu de personnes marquera les esprits.
Les artistes genderqueer Kris Grey et Rajni Shah sont assis d’un bout à l’autre de plusieurs fils tressés munis d’un fusible, en plein recueillement. De l’encens fume, Kris allume la mèche, de part et d’autre les 2 complices se couchent. La très belle voix de Rajni s’élève pendant que Fili joue du violoncelle tout en haut de l’espace. Au fur et à mesure, la corde brûle, la fumée s’élève, remplit la salle, sans toutefois provoquer de gêne pour les spectateurs. Le tout se déroule dans une extrême douceur.
Kris Grey et Rajni Shah
Nezaret Ekici, née en Turquie, a été l’une des nombreuses élèves de Marina Abramovic. Notre première rencontre eut lieu à Bergen en 2017 (voir BN 361). Pour Montréal, elle va recréer un sol de panneaux peints représentant les couleurs du premier drapeau du Canada en 1868. Toute en tension entre chaque panneau elle hurle des mots que lui évoque la couleur. Sa gestuelle excessivement dramatique fait rire la salle. Mais est-ce le but de l’action ? Puis apparaît une feuille d’érable, là, Nezaret apporte des sceaux de peinture blanche, puis rouge, les étale, en recouvre les couleurs précédentes, puis avec une certaine jouissance, se roule dedans, glisse dessus, dans un terrible effort physique. Dans cette débauche de peinture, elle se hisse à la force des bras, à bout de force, le visage tourmenté, telle une caricature d’elle même.
Nezaret Ekici
Le travail d’Alastair Mac Lennan (présent aux Polysonneries 2001) se résume en Activations. Le corps de l’artiste devient le matériau par lequel il veut rendre visible l’invisible. Professeur émérite à Belfast, il est né en Ecosse. Depuis quarante ans, il a une pratique zen et cherche à activer la pleine conscience, la qualité de la présence. Il souligne l’importance de renouer avec notre intériorité. Il porte attention aux énergies en transfert et atténue la distinction entre nature et culture. L’environnement fait partie de l’œuvre. Ainsi il choisit à Montréal, une place entre le fleuve et une surface commerciale. De loin, on peut apercevoir un amas de déchets plastiques d’où émerge sa tête. Il porte des lunettes de soleil dont un côté est sans verre, métaphore de l’équilibre et de l’interchangeabilité des points de vue. De vieilles poupées bancales sont posées près de sa tête, les êtres humains détruisent la pureté. Trois heures durant, sous une légère bruine, Alastair va rester immobile dans un état méditatif. Noyé dans l’immensité de nos déchets. Le sujet et l’objet ne font plus qu’un. En performance, on considère les relations humaines comme le cœur de l’œuvre.
Alastair Mac Lennan
Le parcours de Miao Jiaxin n’est pas banal. Il a quitté sa nationalité chinoise pour prendre celle des États Unis. Mieux même, en public et en vidéo devant ses parents restés en Chine, il rase ses cheveux et sourcils, brûle son passeport chinois et les cheveux coupés, il mange une partie des cendres et met le reste dans une boîte taille passeport. Avec cette boîte, il a voyagé dans 26 pays. Cependant, il ne dénie pas ses racines chinoises, il aime ses parents et amis, mais trouve honteux que le gouvernement agisse contre la démocratie et ses valeurs. Les gens sont désormais aveuglés par le système de consommation. Le Parti Communiste continue sa propagande et ment aux gens. Ce n’est pas qu’il trouve mieux aux USA, mais il refuse d’être identifié à un quelconque gouvernement. Il a une profonde fascination pour le temps qui passe et la répétition. Il mesure le temps avec l’argent. Aussi il va faire une performance reliée au temps, au travail et à l’argent. Quatre heures durant, il devient une horloge humaine. Sur un grand tissu blanc, sont inscrites les heures d’une gigantesque pendule. Une horloge pend autour de son cou. À la place du chiffre douze se trouve une bassine remplie d’encre noire. Son pied gauche est attaché par une corde à un baquet en fer blanc posée au centre du cercle. Il tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, fait une pause à chaque heure et jette un penny dans la bassine. Ce timing est long, et sur le tissu reste la trace de plus en plus sombre de l’encre qui peu à peu recouvre une partie des heures.
Miao Jiaxin
Rosamond S. King vit à New York. En 2018, elle obtient le prix littéraire de la meilleure poésie lesbienne. Elle est professeure agrégée au Brooklyn Collège. Son œuvre sera interactive sur les réseaux sociaux. Présente derrière un bureau, dans une pièce à part, elle invite chacun à tour de rôle à laisser, dans un petit sachet ou une éprouvette un morceau de soi. Au choix quelques cheveux, un morceau d’ongle, une goutte de sang, un peu de salive. Puis elle pose la question suivante : “quelle partie de toi veux-tu laisser après toi ?”. Les réponses s’affichent simultanément sur Twitter. (#leaveltBehind2019).
Rosamond S. King
L’Argentine Guadalupe Martinez intervient sur l’espace public, près. Par des plantes repiquées, la terre déplacée, son rituel aborde les problèmes écologiques tout en rendant un hommage à des artistes sud-américaines pour la plupart décédées, dont elle laissera trace au long de son parcours.
Guadalupe Martinez
Clayton Windatt veille à la construction de liens plus sains pour les artistes et les communautés autotochnes. Sa pratique artistique fonctionne souvent comme un mécanisme d’adaptation aux différents stress de la vie quotidienne. Il revisite les blessures de son passé. “Staglines” est le reflet de son parcours personnel dans la maîtrise du Moi. Autour d’un cercle de cendres est assise son effigie en carton. Il lui a fallu une semaine pour la réaliser. Il enduit ses mains de sang, puis ses yeux, certaines parties de son corps, et fait de même sur la caricature sur laquelle il répand un liquide inflammable, et tel un cracheur de feu, il l’enflamme. Longtemps il reste assis en face, regardant l’œuvre se consumer, puis tourne autour. Puisse ce rituel exutoire le libérer de son passé.
Clayton Windatt
L’élégante performance de l’allemande Marita Bullmann reste une belle découverte. Par son travail, cette artiste discrète et délicate, met en évidence des situations banales du quotidien. Afin que le regard découvre un nouvel espace, riche d’interprétations. Les objets utilisés servent d’outils détournés de leur fonction première. Avec une grande délicatesse et beaucoup de poésie, elle transforme notre façon de voir les choses. Les collants remplis d’eau, s’allongent avec le poids du liquide, devenant une belle installation
Lorsqu’elle en crève un d’une pointe d’aiguille, le liquide coule sur le fond d’un saladier et laisse entendre une légère musique. Elle joue avec un mètre replié, créant un rythme inattendu, puis le déploie le tenant d’une main, l’autre bout reposant sur des seaux empilés plus bas qu’elle. Grâce à une théière, elle fait délicatement glisser le liquide tout le long du mètre jusqu’à ce que ce dernier tombe sur les récipients en fer, qui eux aussi chantonnent. Il n’est pas étonnant d’apprendre qu’elle a été, à Essen, l’élève de Boris Nieslony. Ses images, comme ses actions, reflètent avec délicatesse la beauté du présent et sa simplicité.
Marita Bullmann
VIVA ! a livré quelques très beaux parcours performatifs, dans une ambiance extrêmement chaleureuse et conviviale, propre aux habitants du Québec et à toute cette équipe de bénévoles fantastiques et efficaces. Le seul regret est l’absence de l’artiste colombien David Sebastian Lopez Restrepo qui n’a pas eu son visa au dernier moment. Il était prévu artiste en résidence dans la cuisine VIVA ! Il devait développer une œuvre relationnelle autour des repas communautaires quotidiens. Par Skype, il a pu passer ses instructions au staff de cuisine, et rester en contact de loin. Mais quelle frustration !
Désormais, devant nous de longues années d’impatience !