Réaction

UN FACTEUR CHEVAL, DES FACTEURS CHEVAUX…

Hauterives devenu lieu touristique grâce à son Palais idéal, le facteur Cheval est maintenant connu et reconnu comme artiste brut ou singulier. Le fada tourne au génie. Un livre et un film de Nils Tavernier l’éclairent aujourd’hui d’un projecteur plus large. La lumière du facteur dépassera-telle nos frontières ?

Danielle Stéphane - 29 janvier 2019

À l’heure des artistes aux carrières brillantes autant qu’éphémères, fabriquées par des agents et autres managers, le facteur nous rappelle le temps de l’incarnation. Le temps de la création et celui de la reconnaissance parfois. Le temps qu’il faut pour que l’idée prenne forme dans la matière.
Le temps qu’il faut à la vie…
Joseph-Ferdinand Cheval montre aussi que l’on peut être artiste sans drogues, sans scandales. En menant de front un métier et son travail de création. En payant le prix cher.
Au temps du facteur Cheval, la vie était dure pour les petites gens des campagnes. Les mauvaises récoltes apportaient la famine et les maladies étaient nombreuses. Le travail des champs était harassant.
Aujourd’hui malgré toutes les difficultés dont nous nous plaignons, la vie est plus facile pour un grand nombre et le confort, même simple, est bien supérieur à celui du XIXe siècle.
Les temps ont changé…
Au-delà des différences pourtant je me sens proche de Joseph Ferdinand. Comme lui j’ai longtemps mené de front des emplois salariés et mon travail de création. Comme lui j’ai continué à travailler malgré les refus, les critiques. La comparaison s’arrête là : je ne peux pas prévoir comment sera considéré mon travail - à supposer qu’il me survive - après ma mort. Mais là n’est pas la question.
Le facteur Cheval était un précurseur : depuis que les artistes ne travaillent plus sur commandes de l’Église, de l’État ou de riches mécènes, nombre d’entre nous doivent assumer leur pitance tout en poursuivant leur œuvre contre vents et marées. Les artistes comme les autres paient leur liberté. Et lorsque je lis sur des pancartes que “la Liberté se prend”, la moutarde me monte au nez, même si je comprends certaines colères. La liberté se construit d’abord de l’intérieur.
Certains nous disent encore fous, ont-ils vraiment tort ? Je me le demande dans les moments où je suis prête à abandonner. Quelle est cette force qui nous pousse à avancer, à continuer à réaliser des formes, des matières qui nous surprennent parfois au point de les détruire ? Cette force qui nous anime vers un but incertain, dérisoire. Un palais, mon pauvre Joseph, quelle folie ! Chacun a le droit de ne pas aimer ce palais. Pour ma part je lui trouve une poésie enchanteresse. 
Et je me dis que le Facteur Cheval est unique. Mais nous sommes nombreux à être des facteurs chevaux. Quel que soit notre art, nous construisons tous un palais des songes.